L’Aveuglement salutaire

L’Aveuglement salutaire. Le réquisitoire contre le théâtre dans la France classique.

Paris : éditions H. Champion, coll. “Lumière classique” n°17, 1997 (292 p.); Prix Mgr Marcel de l’Académie Française.

Réédition, “Champion Classiques”, Paris, 2007

Table des Matières

Introduction

Position du problème

Il y a peu d’épisodes sur lesquels l’histoire littéraire se soit penchée plus volontiers que les querelles faites au théâtre tout au long du XVIIe siècle. Du temps – encore relativement proche – où la poésie dramatique du grand siècle était considérée comme l’apogée de la littérature française, que Molière, Corneille et Racine aient pu faire l’objet d’attaques morales et religieuses paraissait d’une révoltante incongruité. Encore pouvait-on accepter qu’un esprit tenu pour secondaire, comme Pierre Nicole, perverti par l’âpreté janséniste, s’en soit pris à des chefs-d’œuvre infiniment au-dessus de ses propres productions. L’ironie en l’occurrence est que, dans son conflit avec Racine, le solitaire de Port-Royal se soit opposé à un esprit qu’il avait formé. La question devenait plus douloureuse quand on retrouvait des thèses et des arguments analogues chez les représentants consacrés du génie classique, chez un Pascal, ou surtout chez l’anti-janséniste Bossuet, dont les Maximes et Réflexions sur la Comédie apparaissent dans les anthologies comme un monstre, une erreur de vieillesse qui vient ternir désagréablement la renommée de l’aigle de Meaux.

Prisonniers de notre propre conception de la littérature, dont les travaux modernes ont montré à quel point elle était tributaire du romantisme et donc en absolu décalage avec la mentalité classique, nous percevons la lutte de Bossuet contre Molière, celle de Nicole contre Corneille, comme des guerres civiles navrantes au sein des Belles Lettres, sans voir quel coup de force idéologique représente notre usage de réunir dans un même recueil et sous le même vocable de littérature, des fragments d’apologie, des oraisons funèbres, des romans et des comédies de mœurs. Il reste que pour réduire le scandale des procès intentés aux Belles Lettres, deux stratégies se présentent comme spontanément. Les uns soutiennent que l’hostilité de nos grands auteurs n’est qu’apparente quand ils semblent condamner ce qui fait aujourd’hui notre admiration. Pascal fait montre dans son œuvre d’un sens dramatique bien trop manifeste pour être un adversaire du théâtre1. Et si Nicole – dont la renommée aujourd’hui connaît une renaissance – ne mentionne pas Molière dans son Traité de la Comédie, ne serait-ce pas la preuve, en dépit des apparences, d’une conformité profonde entre les deux hommes sur les questions morales2 ?

D’autres critiques prennent acte des différends, mais ne se résignent pas davantage à la réalité de la querelle :

Dans toute l’histoire de la querelle, il n’est guère facile de dire où s’arrête le zèle pieux et où commence la manœuvre politique3.

Autrement dit, à l’époque de Molière, les raisons de s’en prendre au théâtre seraient doubles : soit « zèle pieux », c’est-à-dire attachement irréfléchi à des consignes surannées — mais G. Couton n’ose pas faire de cette attitude peu honorable une clef systématique ; soit machiavélisme, procédé politique par lequel on transpose sur un plan culturel des antagonismes d’une autre nature. Le phénomène au demeurant n’est pas contestable. Quand Mazarin, l’héritier de Richelieu, se fait le grand promoteur des arts de la scène, il est tentant pour ses ennemis de manifester leur rejet du ministre par un rejet du théâtre4. Mais dans cette alternative, quelle place reste-t-il à des adversaires conscients et motivés de la Comédie. Imagine-t-on même qu’il puisse y en avoir ?

Je n’ai aucunement la prétention ici d’apporter des éléments nouveaux, de modifier la connaissance factuelle que nous possédons de cette querelle5. Mais il me semble, dans la vaste littérature consacrée aux déboires moraux du théâtre classique, qu’un travail manque encore : celui qui consisterait à prendre au sérieux les arguments échangés ; à se demander si, en sus du zèle pieux et de la manœuvre politique (qui certes ont compté), il n’y eut point de place pour un débat grave, et dont les enjeux – pour peu qu’on souffle une petite couche de poussière – peuvent encore nous apparaître considérables sur un plan théorique6.

On jette sur l’Église du XVIIe siècle et sur la mentalité religieuse des temps passés un regard assez facilement dédaigneux. Erreur de perspective ou schématisme, on tendrait volontiers aujourd’hui à regarder les prêtres, hostiles par principe à toute forme de plaisirs, comme les agents d’une structure oppressive, soucieuse uniquement de marquer son emprise sur les esprits. C’est à cette conclusion, en tout cas, que parvient un chercheur récent qui réduit la querelle religieuse contre le théâtre à la réaction crispée d’un appareil idéologique, sentant son influence menacée7. La danse, le jeu, la Comédie sont autant d’activités qui nous semblent aujourd’hui innocentes, sinon louables, et qui rencontraient aux XVIIe et XVIIIe siècles une hostilité déterminée. Mais ce phénomène ne mérite-t-il pas un certain étonnement ? On se contente en général d’évoquer ces questions par une brève déploration convenue, sans chercher d’explication véritable à des positions dont la sottise nous paraît en parfaite harmonie avec l’idée que nous nous faisons des outrances et des obscurantismes religieux des anciens temps. Les anachronismes et la croyance naïve en un progrès moral ont l’avantage de simplifier considérablement les problèmes. Si les conséquences et la réalité elle-même des diverses proscriptions dont firent l’objet les divertissements ont été bien étudiées, la cause de ces proscriptions reste ainsi implicite, comme une triste évidence qui s’imposerait d’elle-même.

Deux observations devraient cependant éveiller l’attention. La première est l’existence d’adversaires laïcs à ces divertissements, au XVIIIe siècle notamment. Dans la Lettre à d’Alembert sur les spectacles, Rousseau s’oppose à la Comédie sur la base d’arguments qui ne doivent rien à l’autorité religieuse, même s’ils rencontrent parfois ceux de Nicole. De la même façon, on retrouve, juste avant la Révolution française, des imprécations contre le jeu sous toutes ses formes, que l’on croirait nourries de la plus pure tradition rigoriste chrétienne si elles ne venaient pas sous la plume du conventionnel Jean Dusaulx8. Ni les thèses de Rousseau, ni celles de Dusaulx ne sauraient se ramener à la répression cléricale contre les divertissements : il faut bien se résoudre à leur chercher des motivations idéologiques, surprenantes peut-être, mais spécifiques. Enfin le lecteur est aussi alerté d’une autre manière, quant à la vraie nature de la querelle : s’il met entre parenthèses ses propres valeurs esthétiques et morales, s’il aborde sans préjugés les démonstrations que proposent les adversaires du théâtre, il constate que parmi les lieux communs et les anathèmes, il reste place pour des raisonnements bien plus élaborés, pour un discours théorique articulé qu’il ne serait pas sans profit de reconstituer ; car si les conclusions nous paraissent d’un autre âge et de toute évidence ne nous concernent plus, l’analyse qui les sous-tend croise des préoccupations qui nous sont aujourd’hui encore essentielles9. Sous une perspective qui n’est plus la nôtre et qui nous semble de ce fait particulièrement inadaptée (la perspective religieuse imposée à un objet littéraire), s’expriment des problèmes constitutifs de la mimèsis, et plus spécifiquement de la mimèsis théâtrale — des problèmes qui restent pour nous graves et non résolus.


La querelle de la moralité du théâtre est déroutante pour un esprit moderne, mais en même temps passionnante, en ce qu’elle mêle dans un argumentaire généralement confus, des plans extrêmement hétéroclites. Elle fait passer sans cesse d’une approche historique à des considérations de poétique (fondées parfois sur l’étude de textes), de questions de mise en scène à des réflexions anthropologiques et religieuses. La première tâche qui nous incombe, si l’on veut comprendre les motivations réelles qui dressaient contre la Comédie tout un groupe de moralistes au XVIIe siècle, est de distinguer et de classer les arguments. Tout certes nous paraît noyé dans une perspective morale et religieuse qui s’impose injustement. Est-ce vraiment aux théologiens et aux moralistes de s’exprimer sur le théâtre ? À la première lecture, les pièces du procès intenté au théâtre donnent aujourd’hui l’impression d’un dialogue de sourds entre deux réalités qui n’ont pas de raison de se confronter. Le sentiment de se trouver, chez les adversaires du théâtre, devant un discours monolithique et ressassé est cependant l’effet caractérisé d’une illusion épistémologique. Les thèses anti-théâtrales nous sont tellement étrangères que nous ne percevons pas combien elles sont diverses. Il y a des lignes de fracture essentielles, des positions très contrastées et de véritables antagonismes, entre Conti et Nicole par exemple. C’est une erreur manifeste, et un gage de stérilité, d’appréhender ces textes comme une « abondante et ennuyeuse littérature consacrée à la querelle du théâtre en France au XVIIe siècle »10. L’abondance est certaine, mais elle n’entraîne pas l’uniformité, et l’ennui ne signifie rien d’autre que l’inaptitude à comprendre des positions incompatibles avec nos propres valeurs esthétiques et morales.

Au désir légitime de percevoir en toute position idéologique les principes véritables qui la fondent, une autre raison s’ajoute, incitant à prêter attention aux discours anti-théâtraux : les écrivains de théâtre eux-mêmes ont été très conscients, en permanence, du mouvement d’hostilité suscité par la Comédie. Ils en ont été plus ou moins gênés. Mais ils ont vraiment cherché à y répondre, dans les termes mêmes de la polémique. En reconstituer les linéaments permet ainsi de comprendre la position d’un Corneille ou d’un Molière. La préface de Tartuffe atteste que Molière possédait une connaissance intime des arguments et des textes opposés au théâtre : on interprète superficiellement cet important manifeste si l’on ne perçoit pas avec précision en filigrane les raisonnements auxquels réplique l’auteur de Tartuffe.

La période sur laquelle se concentre cette étude est la décennie 1660-1670. Il suffit de voir, durant ces quelques années, la liste des ouvrages, traités entiers ou chapitres issus de livres plus vastes, qui instruisent le procès du théâtre, pour percevoir que le début du règne personnel de Louis XIV correspond à une intense reprise des hostilités morales contre le théâtre. Quel meilleur témoignage pourrait-on d’ailleurs en produire que celui de Molière lui-même ? Au moment où la querelle de Tartuffe touche à sa fin, où le Roi, s’estimant assez fort, a imposé la pièce de Molière contre tous ses ennemis, l’écrivain – prudent – se hâte de la publier pour rendre sa victoire irréversible. La préface qu’il rédige alors, prenant un peu de hauteur par rapport aux récentes escarmouches, se présente comme une prise de position dans le débat moral sur le théâtre, un relevé de conclusions, relativement serein. Mais si l’issue du combat aide à panser les plaies, la violence de celui-ci reste encore très présente à la mémoire de Molière. Après avoir commencé par montrer l’innocence de sa pièce, l’écrivain continue de la sorte son argumentation :

L’on doit approuver la comédie du Tartuffe, ou condamner généralement toutes les comédies.

C’est à quoi l’on s’attache furieusement depuis un temps ; et jamais on ne s’était si fort déchaîné contre le théâtre.

Cette dernière remarque confirme que, pour les contemporains eux-mêmes, la décennie 1660-1670 avait été sentie comme un moment fort dans la querelle anti-théâtrale. Certes, la réticence des prédicateurs et des pédagogues devant toute forme de divertissement n’échappait à personne, mais leurs mises en garde devaient être reçues comme des imprécations rituelles, dont il n’y avait pas lieu de s’émouvoir. Goibaud du Bois a beau jeu de s’étonner de la réaction violente de Racine, devant les anathèmes de Nicole :

Est-ce que vous ne voulez pas qu’il soit permis à qui que ce soit de parler mal de la Comédie ? Entreprendrez-vous tous ceux qui ne l’approuveront pas ? Vous aurez donc bien des apologies à faire, puisque tous les jours les plus grands prédicateurs la condamnent publiquement aux yeux des chrétiens et à la face des autels11.

Mais la querelle de Tartuffe, la publication du Traité de la Comédie de Nicole, de celui de Conti, manifestaient une offensive autrement plus significative. Il ne faisait guère de doute pour Molière que sous les attaques qu’avait essuyées Tartuffe, l’adversaire véritable était le théâtre lui-même, et qu’à l’occasion de sa pièce, on voyait ressurgir avec une virulence redoublée l’opposition chronique qui, depuis les Pères de l’Église, dressait la religion contre le théâtre.

Pour la commodité de la pensée, on peut distinguer, dans la Querelle du théâtre au XVIIe siècle, trois « moments intenses »12. Le premier, en 1639, est marqué par une attaque du ministre réformé André Rivet (Instruction chrétienne touchant les spectacles…), à laquelle répond l’auteur des Observations sur le Cid, Georges de Scudéry, dans une Apologie du Théâtre13. Cette première polémique ne semble pas avoir eu un immense écho, ni avoir interféré véritablement avec le processus de développement et de régularisation de la Comédie, qui se déroulait à la même époque sous les auspices de Richelieu14. Le deuxième grand moment de la querelle, celui des années 1660-1670, est d’autant plus important pour nous, qu’il a impliqué, à des titres divers, les trois grands noms du théâtre français au XVIIe siècle : Corneille y fait figure de cible exemplaire, si remarquable que sa condamnation impliquerait a fortiori celle de tout le genre qu’il illustre ; Racine, jeune poète dont la réputation est encore à venir, en se heurtant à Nicole et à ses amis, saisit l’occasion de se faire le héraut d’un genre qu’il brûle d’illustrer ; Molière enfin, à travers deux de ses plus grandes œuvres – Tartuffe et Dom Juan – focalise les griefs de tout le parti hostile à la Comédie (et même, si l’on compte l’abbé d’Aubignac, de certains défenseurs du genre !). C’est enfin dans les dernières années du siècle que se déroule le troisième épisode, et peut-être le plus connu, de la querelle. Le théatin d’origine italienne, François Caffaro, laisse publier en tête d’un volume d’œuvres de Boursault, une lettre de ton très modéré, où l’analyse, favorable au théâtre, se veut celle d’un théologien15. Durant la seule année 1694, on ne compte pas moins de sept réfutations de cette Lettre d’un théologien illustre, la plus célèbre étant celle de Bossuet.

Doit-on considérer comme une reprise des querelles du siècle précédent les nouvelles attaques que subit le genre théâtral au milieu du XVIIIe siècle, par l’entremise de Diderot et de Rousseau ? De toute évidence les bases de la polémique et les enjeux idéologiques ne sont plus les mêmes, mais la perspective est éminemment morale. Qu’il s’agisse d’ailleurs des critiques faites à la « comédie gaie » par Diderot (De la Poésie dramatique, 1758), ou de la Lettre à d’Alembert sur les spectacles16, il est symptomatique que les Philosophes en viennent à leur tour à prendre les pièces de Molière comme illustration des méfaits du théâtre. Je n’entends pas ici bien sûr considérer ces textes en eux-mêmes, ni ne peux leur accorder l’attention qu’ils méritent, mais le critique a tout à gagner à les mettre en rapport avec les théories et les arguments du siècle précédent. La ressemblance des questions agitées, alors que les valeurs et les motivations sont si différentes, aide à percevoir la spécificité de chaque réflexion, à échapper à ce sentiment trompeur de ressassement qui menace le lecteur des textes anti-théâtraux.

Le long conflit qu’entretiennent l’Église et le théâtre depuis les premiers Pères, connaît des moments de répit et des reprises régulières, mais il s’agit en fait d’un seul et même débat, comparable – comme le signale très heureusement Marc Fumaroli17 à celui que menèrent les iconoclastes contre une autre forme de mimèsis. Même s’il est légitime d’examiner un moment particulier de ce débat, avec sa physionomie originale, on ôterait à la question la plus grande partie de son intérêt philosophique et spirituel, en refusant d’évoquer, au moins comme des jalons, les autres provinces de cette unique contrée. Pour comprendre la teneur véritable, la signification profonde de l’hostilité au théâtre, il faut garder à l’esprit le long courant de malaise et d’inquiétude auquel appartient chacune des polémiques. La lecture de Tertullien, comme celle de Rousseau, aident à conférer à la pensée d’un Nicole son authentique dignité.

Les nombreux textes parus entre 1660 et 1670 n’ont certes pas tous été rédigés pendant cette période. La contemporanéité de ces ouvrages peut ainsi être trompeuse. Le Traité de la comédie et des spectacles, publié en 1666, quelques mois après la mort de son auteur, le Prince de Conti, est nécessairement d’une rédaction récente : les allusions à l’actualité théâtrale proche (le Dom Juan de Molière), le revirement de l’auteur, qui découle de sa « conversion » par l’évêque Pavillon en 1655, sont des garants incontestables. Il n’en va pas de même pour les réflexions d’Alexandre Varet18, ni surtout pour le Traité de Nicole, qui a posé longtemps une redoutable énigme aux historiens. Les solides analyses de Georges Couton ont prouvé aujourd’hui que la prétendue première édition de 1659 n’avait jamais existé et que le Traité n’avait pas été porté à la connaissance du public avant de paraître en appendice des Lettres Imaginaires (1667)19. Il n’en reste pas moins vrai que la composition de l’ouvrage n’a pu être que très antérieure : une des références majeures, la Théodore de Corneille, remonte à 1645 ; l’actualité la plus proche est représentée par une citation des Illustres Ennemis, pièce de Thomas Corneille jouée en 1654. Les corrections ultérieures de Nicole montrent qu’il avait rédigé son Traité à un moment où le duel avait davantage de réalité20. Le Traité de la Comédie appartient ainsi à deux époques : la fin des années 1650, par sa rédaction ; 1667, par sa première publication.

Quelles que soient au demeurant les difficultés d’établir le moment exact de composition de tous les ouvrages considérés ici, leur parution groupée dans la décennie 1660-1670 est à elle seule significative. Que Nicole n’ait pas jugé bon de publier ses réflexions contre la Comédie avant 1667, corrobore le sentiment que la décennie retenue constitue une phase intense de la querelle contre le théâtre. Ce sursaut d’hostilité à un tel moment n’est d’ailleurs pas le moindre sujet d’étonnement pour l’historien moderne. La condamnation de la Comédie nous semble particulièrement inopportune à une période qui reste pour nous celle où le théâtre a achevé de s’épurer, de se soumettre à un corps de règles, et où il produit des chefs-d’œuvre qui demeureront comme l’illustration du siècle.


Le cadre et l’objet

Avant d’entrer dans les méandres et les subtilités du débat, il convient de présenter à grands traits son objet et sa physionomie.

1. Paradoxes

En repérant et classant les arguments opposés à la Comédie, on retrouvera un certain nombre de paradoxes, certains tellement systématiques qu’ils se convertissent en lieux communs du discours anti-théâtral. C’est le cas notamment du paradoxe exprimé pour la première fois par Senault, repris par Conti et quasiment par tous les adversaires du théâtre, qui consiste à soutenir que plus la Comédie est morale, plus elle est immorale. Nicole pour sa part entend discréditer les spectateurs de comédies et ébranler leur tranquille assurance, par une démystification du plaisir théâtral : ce que l’on accepte de voir avec horreur, on y adhère. Ces propositions, que j’énonce ici sous une forme lapidaire et obscure, recevront ultérieurement toute l’attention nécessaire. Il ne m’importe pour l’instant que de souligner le caractère volontiers paradoxal de l’argumentation, caractéristique de la physionomie prise par la querelle en ce dernier tiers du XVIIe siècle. Peut-être est-ce là une raison pour laquelle le procès intenté au théâtre nous semble aujourd’hui si exotique et déroutant. Mais c’est souvent aussi l’intérêt majeur qu’offre pour nous ce débat étrange, un biais par lequel il rejoint des préoccupations théoriques et des interrogations qui sont les nôtres.

Le paradoxe est en fait plus général : la répartition des rôles entre les divers acteurs de la polémique, sur un plan idéologique, est fondamentalement paradoxale. Les enjeux concrets de défense ou d’inculpation du genre théâtral amènent chacun à adopter une position théorique inattendue. Les ennemis du théâtre sont ceux qui croient le plus en son pouvoir ; ils prennent le genre très au sérieux et soulignent sa puissance, son efficace. Inversement, pour mettre le théâtre hors de cause, ses partisans auraient plutôt tendance à minimiser la portée du genre, à faire ressortir la faiblesse, la modestie de ses ambitions, essentiellement récréatives. Les vertus pédagogiques de la comédie, alléguées par ses défenseurs au XVIIe siècle, représentaient-elles, à leurs yeux mêmes, bien plus qu’un argument de circonstance ? Le castigat ridendo mores tient plus de l’incantation rituelle que de la conviction profonde, tant il est évident que personne ne recherche, dans la comédie, un quelconque bénéfice moral. Et les mêmes auteurs qui invoquent les vertus éducatives de leur art achèvent généralement leur plaidoyer en invoquant le droit de se distraire21.

Il ne faudra donc pas rechercher chez les défenseurs de la Comédie une conscience très poussée de la puissance scénique, tandis que pour mettre en garde contre des sortilèges qu’il juge désastreux, un Nicole est amené à élaborer une théorie bien plus flatteuse ; il rejoint étrangement les manifestes et les justifications que produiront à des époques plus récentes, mais sur un mode enthousiaste, les tenants d’un théâtre engagé.

2. Morale

Les interventions de Nicole, Bossuet et leurs comparses alimentent une controverse connue sous le nom de Querelle de la moralité du théâtre. Par cette expression convenue, on distingue à juste titre cette polémique des diverses débats littéraires menés tout au long du siècle au nom de principes esthétiques ou autour de problèmes techniques. Soucieux de définir des règles, les doctes jugent et parfois affrontent des auteurs plus attentifs à l’accueil du public qu’au respect des unités. Il s’agit là bien évidemment d’un autre débat.

On sent bien, par-delà tous les antagonismes idéologiques, que les réflexions de Diderot et Rousseau s’inscrivent dans le même cadre d’une querelle morale. Ils maintiennent cette confrontation du théâtre et de la question morale (moralisation de la scène, utilisation du théâtre à des fins morales). Cela amène Jean Goldzink à diagnostiquer une « convergence secrète de la critique dévote du théâtre et du réformisme philosophique des Lumières »22. Autrement dit, les clercs du XVIIe siècle comme les philosophes du XVIIIe se rejoignent pour poser au théâtre la question, qui nous semble aujourd’hui si déplacée, de la morale.

Mais le rapprochement entre les deux époques manifeste combien le terme de ‘morale’ est trompeur, combien est superficielle l’assimilation qu’il suggère. Notre époque, qui a banni (ou croit avoir banni) la question morale du champ littéraire, est sensible à l’impureté des perspectives, commune aux augustiniens et aux philosophes. Leurs préoccupations sont en réalité bien éloignées. Au XVIIe siècle, le procès contre le théâtre est au fond un procès contre la représentation, un rejet du factice et du vain sous toutes ses formes, au nom de la pleine, véritable et unique Réalité. Ce qui caractérise la querelle au XVIIe siècle, c’est sa dimension platonicienne, perceptible tant dans les références que dans les thèmes abordés. Aucune trace de ce souci ne se retrouve au siècle des Lumières. En dépit de l’appellation traditionnelle, la querelle du théâtre qui se développe au XVIIe siècle n’est pas pleinement une querelle morale. Et d’ailleurs le paradoxe de Senault, repris en chœur par tous les adversaires du théâtre, ne l’exprime-t-il pas crûment ? Même devenu moral, le théâtre n’a pas droit de cité. Mieux encore, plus il est moral, plus le théâtre est redoutable, car n’étant plus éloignés de lui par son obscénité ou des tares évidentes, les spectateurs s’exposent sans méfiance à ses effets les plus pernicieux. Peut-on plus clairement signifier que le véritable danger de la Comédie n’est pas d’ordre moral ?

La réflexion du XVIIe siècle sur le théâtre est dans la lignée de Platon : c’est une méditation sur la mimèsis et sur le jeu des passions23. Elle comporte certes un volet moral, mais – nous en donnerons maintes preuves – le cœur de la question est de nature anthropologique et méta­physique. Rousseau, il est vrai, est souvent très proche de l’anthropologie de Nicole : il analyse d’une façon assez comparable les effets de la mimèsis sur l’homme. Mais en aucune manière, il ne partage les convictions métaphysiques qui servent d’horizon au Traité de la Comédie. Pour lui, comme pour Diderot, la mimèsis n’est pas en soi mauvaise et le divertissement n’est pas répréhensible. Diderot refuse la comédie des vices et du ridicule (dont Molière est le plus illustre représentant) au nom d’une efficace morale ; il milite pour un nouveau type de comédie qui, au lieu d’alimenter les tendances mauvaises de l’individu, développerait en lui les sentiments les plus nobles et les plus utiles à la société. À un moment où il n’est plus question, même symboliquement, de rejeter la Comédie, les philosophes (qui sont eux-mêmes auteurs de théâtre) s’inquiètent des idées qu’elle véhicule et des valeurs qu’elle prône ; ils croient au théâtre comme en un moyen privilégié de répandre les lumières. C’est le XVIIIe siècle qui jette sur le théâtre un regard authentiquement moral.

3. L’objet : la ‘Comédie’

Un dernier terme enfin pourrait égarer : celui qui désigne l’objet litigieux, la Comédie. Il apparaît de toute évidence que contrairement à notre usage, le mot est employé dans un sens général, et qu’il représente conjointement ce que nous appelons tragédie et comédie24. On n’a peut-être pas suffisamment remarqué que cet usage archaïque de ‘Comédie’ pour ‘poème dramatique’ posait problème dès le XVIIe siècle et qu’il pouvait prêter à confusion pour les destinataires mêmes des traités. Preuve en est cette mise au point que Conti sent la nécessité de faire, dans son Traité de la comédie et des spectacles :

Je ne prétends pas, en parlant de la Comédie, traiter seulement de cette sorte de poème qui a premièrement, et plus proprement, porté ce nom par l’institution des hommes. Mais comme ce nom d’une espèce particulière est devenu en France un nom général qui convient à toutes les pièces de théâtre, soit qu’elles soient effectivement des comédies, soit aussi que ce soient des tragédies, ou des tragi-comédies, c’est sous ce nom que j’ai prétendu examiner toutes sortes de poèmes dramatiques, et en général, par ce qu’ils ont de commun, et en particulier, par ce qui fait leurs espèces différentes25.

Pour Conti, c’est par un abus de langage (une synecdoque pour être précis) que le terme de ‘Comédie’ est venu à signifier, de façon générique, l’ensemble des œuvres théâtrales, dont il ne désignait initialement qu’une espèce. C’est donc pour se plier à l’usage courant que le moraliste adopte ce qui lui semble une nouvelle terminologie26.

Presque au même moment, dans un ouvrage essentiellement descriptif et de peu d’intérêt pour notre propos, l’abbé De Pure confirme et précise la remarque trouvée chez Conti : la distinction entre comédie et tragédie, qui nous semble élémentaire, revêt pour lui un caractère savant ; elle ne correspond pas à la perception commune.

Nous comprenons dans ce mot [comédie] tout ce qui est dramatique et qui se représente sur la scène, soit tragique, soit comique, soit satirique. Nous ne faisons point ici de distinction de ces divers genres de jeux, parce que l’idée vulgaire et universelle les confond ordinairement et que ces connaissances trop fines pour le peuple et pour les gens de Cour l’embarrassent beaucoup plus qu’elles ne les instruisent, et qu’ils s’en rebutent plutôt que d’en profiter27.

Ces considérations sémantiques ne bouleversent certes pas les données du problème. Elles indiquent simplement que, par-delà les distinctions et les définitions des doctes, l’objet théâtral, sous le nom de ‘Comédie’, représentait une réalité globale.

Il n’empêche que le problème de la moralité du théâtre ne se pose pas dans les mêmes termes, selon qu’on envisage la comédie ou la tragédie. La confusion des genres induite par le vocabulaire ne manque pas d’avoir des répercussions sur le débat lui-même. Ainsi, dans le Traité de la Comédie, la généralité de la condamnation contraste avec la spécificité des œuvres évoquées. Nicole n’attaque effectivement que la tragédie. Parmi tous les exemples auxquels il recourt, figure une seule comédie – et encore s’agit-il d’une comédie héroïque, à l’espagnole : Les Illustres Ennemis de Thomas Corneille. Est-ce le choix d’une stratégie a fortiori, dont on verra d’autres marques ? L’auteur considère le théâtre sous sa forme la plus noble et sous les traits de son représentant le plus digne. Si la tragédie est condamnable, ce doit être le cas à plus forte raison de toutes les manifestations moins raffinées de l’art dramatique. Il reste que l’inclusion adventice des romans dans le même propos pose problème et manifeste chez Nicole une intention généralisante dont sa démonstration n’est pas toujours capable. On ne s’empêchera pas de penser que la plupart des détracteurs du théâtre tirent parti d’une certaine confusion générique pour multiplier à bon compte leurs arguments. Il est vrai, du reste, que cette indistinction générique correspond à l’évolution de la théorie : les grands débats du XVIIIe siècle sur un théâtre intermédiaire entre tragédie et comédie, à égale distance du terrible et du plaisant, et l’avènement de la comédie sérieuse, du drame bourgeois, introduisent un grand flou dans toutes les catégories28.

Qu’on élargisse la Comédie, comme Nicole, à toutes les représentations mimétiques nourries par l’imagination, ou qu’on se cantonne plus exactement à l’art dramatique, le terme de ‘Comédie’ garde une signification assez générale, voire abstraite : c’est à la fois un répertoire, un divertissement, un art. La réalité concrète de la scène apparaît davantage sous le mot de ‘théâtre’, dont nous ne percevons peut-être plus aussi clairement aujourd’hui la valeur exacte. L’ordre des acceptions que propose Furetière à l’article ‘théâtre’ est significatif. Les trois premiers sens indiqués sont concrets, et liés à la notion de lieu :

1. Lieu élevé où on fait des représentations, où on donne quelque spectacle.

2. Lieu ordinaire où on représente des comédies et des tragédies. Le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne.

3. La scène où représentent les acteurs.

Le théâtre, c’est la Comédie dans sa réalisation scénique. Le lexicologue n’évoque que dans un deuxième temps les acceptions plus abstraites du terme.

4. La science de composer ou de représenter des comédies et des tragédies.

5. Le recueil des ouvrages dramatiques d’un auteur.

Toutes ces précisions terminologiques sembleront peut-être d’une importance relative. Je crois cependant nécessaire de cerner au plus près l’identité de chaque notion. Les frontières se déplacent subrepticement entre les choses, tandis que les mots restent les mêmes ; et si ceux de ‘comédie’ et de ‘théâtre’ évoquent en gros une même réalité pour les contemporains de Molière et pour nous, leur emploi et leur valeur ne sont plus parfaitement identiques. Il n’est que de voir, pour s’en convaincre, combien nous paraît étrange la formule utilisée par Rousseau, quand, dans sa Lettre à d’Alembert, il prend position, sur le « projet d’établir un théâtre de comédie ». L’expression n’est pas pléonastique ; chacun des deux termes a sa fonction.


Notes

  1. Cf. Nicholas Hammond : « Levez le rideau : images of the theatre in Pascal’s Pensées ». ↩︎
  2. Cf. Pierre Force, Molière ou Le Prix des choses. Morale, économie et comédie, pp. 229-232. ↩︎
  3. Georges Couton, La Vieillesse de Corneille, p. 147. ↩︎
  4. L’imbrication entre situation politique et casuistique morale est évidente dans le débat théologique et la lutte d’influence que suscitèrent, en 1646, les goûts pour le théâtre de la régente Anne d’Autriche ; sur cette péripétie significative, voir la brève étude de Gustave Reynier, « Un épisode du conflit de l’Église et du théâtre au XVIIe siècle». ↩︎
  5. L’ancienne présentation d’Urbain et Levesque, les travaux plus récents de Georges Couton et de Jean Dubu, chacun dans leur domaine et avec leur sensibilité, apportent une connaissance nuancée et précise de la question. ↩︎
  6. Une seule étude, brève mais dense et nourrie d’une longue fréquentation du problème, me semble poser véritablement la question de l’argumentation anti-théâtrale à l’époque classique : il s’agit de la conférence donnée en janvier 1990 par Marc Fumaroli devant la Société française de philosophie, « La querelle de la moralité du théâtre au XVIIe siècle ». J’aurai mainte occasion de recourir à ces analyses, toujours éclairantes, quoique peut-être restreintes par l’antipathie manifeste qu’éprouve le critique envers les thèses rigoristes. ↩︎
  7. « The major importance of the querelle du théâtre in the 17th century lies in the picture it presents of a church jealous of its own powers of attraction over men’s hearts and sensitive to any threat to its grip on their minds, particularly if it comes from a secular source. » (Henry Phillips, The Theatre and its Critics in Seventeenth-Century France, p. 249). ↩︎
  8. De la Passion du jeu, depuis les temps anciens jusqu’à nos jours (1779). ↩︎
  9. Une mention doit ici être faite des travaux de Louis Marin, un des seuls critiques à avoir délibérément abordé le Traité de la Comédie de Nicole comme un texte théorique. ↩︎
  10. Michel Launay, introduction à la Lettre à d’Alembert sur les spectacles (coll. « Garnier Flammarion »), p. 18. ↩︎
  11. Goibaud du Bois, Réponse à l’Auteur de la lettre contre les hérésies imaginaires et les Visionnaires. ↩︎
  12. La formule est de Gérard Ferreyrolles, Molière, Tartuffe, (coll. « Études littéraires »), p. 14. ↩︎
  13. À moins qu’il ne s’agisse de l’inverse. Se fondant sur la date précoce du privilège pour le livre de Scudéry (20 février 1639), et sur l’allusion de Rivet à des apologies de la Comédie déjà existantes, John Kelly considère plutôt que le livre de Rivet est une réponse à celui de Scudéry (Kelly, La Querelle du théâtre en France de 1657 à 1700, p. 41). Mais le pasteur de Leyde ne faisait que traduire en français et publier des conférences plus anciennes données en latin: celles-ci étaient peut-être parvenues à la connaissance de Scudéry. ↩︎
  14. Peu de critiques jusqu’à présent se sont intéressés à cet épisode; on mentionnera la récente et brève étude, essentiellement descriptive, de Jean Dubu : « À propos de l’Apologie du théâtre de G. de Scudéry : l’influence de l’Instruction chrestienne touchant les spectacles publics des Comoedies & Tragoedies du Pasteur André Rivet ». ↩︎
  15. Lettre d’un théologien illustre par sa qualité et par son mérite, consulté par l’auteur pour savoir si la Comédie peut être permise, ou doit être absolument défendue. Texte donné par Urbain et Levesque : L’Église et le théâtre, pp. 67-119. ↩︎
  16. Le titre exact de l’ouvrage de Rousseau est : Lettre à M. d’Alembert sur son article Genève, et particulièrement sur le projet d’établir un théâtre de comédie en cette ville (1758). ↩︎
  17. M. Fumaroli, « Sacerdos sive rhetor, orator sive histrio, rhétorique, théologie et ‘moralité du théâtre’ en France de Corneille à Molière », in : Héros et orateurs, rhétorique et dramaturgie cornéliennes, p. 449. ↩︎
  18. « Avis touchant la comédie», intégré dans le huitième chapitre de L’Éducation Chrétienne des Enfants, selon les maximes de l’Écriture Sainte↩︎
  19. Pour toutes les questions relatives aux éditions du Traité de la Comédie, voir annexe III. ↩︎
  20. Voir les corrections apportée par Nicole au §18, à partir de l’édition de 1675. ↩︎
  21. À propos de Diderot et de son idéal moral pour la Comédie, Jean Goldzink constate la même distorsion : « Force du théâtre, tous ses ennemis en conviennent, tandis que ses défenseurs chrétiens modérés, de d’Aubignac à l’abbé Du Bos, la minimisent, en soulignant que le spectateur n’oublie jamais qu’il est au spectacle, et donc conserve sa liberté » (Les Lumières et l’idée du comique, p. 43). ↩︎
  22. Les Lumières et l’idée du comique, p. 17. ↩︎
  23. Évoquant « l’hostilité platonicienne envers la mimèsis, miroir qui piège l’âme dans le monde sensible et sensuel », M. Fumaroli introduit avec force la réflexion majeure qu’il a présentée sur cette question à la Société française de philosophie : « Cette Querelle est […] un chapitre de l’histoire du platonisme chrétien. » (p. 66) ↩︎
  24. Pour mettre en garde le lecteur et signaler cette particularité d’emploi, j’ai pris le parti de conserver la majuscule dont est généralement pourvu au XVIIe siècle le mot de ‘Comédie’, chaque fois qu’il doit être compris dans son acception la plus générale ; je suis en revanche l’usage moderne et orthographie le mot avec une minuscule quand il désigne le seul genre comique. ↩︎
  25. Conti, Traité de la comédie et des spectacles selon la tradition de l’Église tirée des conciles et des saints Pères. (éd. Billaine, 1667, p. 8-9). Je souligne. ↩︎
  26. Même conception, quelques années plus tard, chez Samuel Chappuzeau, qui, après avoir distingué les divers poèmes dramatiques, conclut: «Dans la suite de mon discours, je prendrai une des parties pour le tout et la Comédie pour tous les ouvrages de théâtre qu’embrasse le poème dramatique. Ce nom d’une espèce particulière étant devenu un nom général, et l’usage voulant que la tragédie, la tragi-comédie et la pastorale passent aujourd’hui sous le nom de Comédie.» (Le Théâtre français, 1674; livre I, chap. 4) ↩︎
  27. Abbé Michel de Pure, Idée des spectacles anciens et nouveaux, 1668, p. 162. ↩︎
  28. Par ses œuvres et sa théorie, Fontenelle est un précurseur de cette dissolution des genres : « Il y aura donc des pièces de théâtre qui ne seront ni parfaitement tragédies, ni parfaitement comédies, mais qui tiendront de l’un ou de l’autre genre, et plus ou moins de l’un que de l’autre, comme un vert, qui est certainement un composé du jaune et du bleu, est différent d’un autre vert, parce qu’il entre plus ou moins de jaune ou de bleu dans sa composition. […] Ainsi notre comédie placée au milieu du dramatique, y prendra justement tout ce qu’il a de plus touchant et de plus agréable dans le sérieux, et tout ce qu’il a de plus piquant et de plus fin dans le plaisant. » (Fontenelle, « Préface générale » à l’édition de son théâtre, Œuvres, Amsterdam, 1754 [1ère éd.: 1751], pp. 8 et 11). ↩︎